Dès lors qu’une relation d’affaires a un caractère « suivi, stable et habituel », que le cocontractant n’a commis aucune faute grave et qu’il n’existe aucun évènement de force majeure, chaque contractant doit respecter un délai de préavis suffisant avant de rompre définitivement cette relation contractuelle.
Pour rappel, l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce prévoit effectivement qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
« De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ».
Or, pour apprécier le caractère brutal de la rupture d’une relation commerciale établie, les juridictions tiennent généralement compte de plusieurs critères : durée et conformité du délai de préavis avec les usages et accords interprofessionnels, nature de la prestation et des produits fournis, durée totale de la relation commerciale, degré de dépendance économique, perspectives de reconversion…
L’arrêt rendu le 8 novembre 2017 par la chambre commerciale de la Cour de Cassation va plus loin en tenant uniquement compte de la situation économique des parties pour écarter le caractère brutal de la rupture du contrat.
En l’espèce, une société française confiait à une société bangladaise depuis près de 10 ans la maitrise d’œuvre de chemises qu’elle commercialisait, moyennant le règlement de commissions calculées en fonction du volume des commandes.
En 2010, la société bangladaise a reproché à sa cocontractante une baisse significative du volume de ses commandes depuis deux ans et lui a annoncé qu’elle augmenterait le coût unitaire de ses chemises. La société française lui faisant savoir qu’il ne lui était alors plus possible de poursuivre le contrat, la société bangladaise l’a assigné en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L 442-6-I, 5° du code de commerce, précité.
Or, la Cour d’Appel de Paris avait, pour débouter la société bangladaise de ses demandes, considéré que la société française n’avait pris aucun engagement de volume envers son partenaire, qu’elle avait souffert d’une baisse de chiffre d’affaires de plus de 15% du fait de la crise économique affectant le marché du textile, « baisse qu’elle n’a pu que répercuter sur ses commandes dans la mesure où un donneur d’ordre ne peut être contraint de maintenir un niveau d’activité auprès de son sous-traitant lorsque le marché lui-même diminue », et qu’elle lui avait proposé une aide financière pour faire face à la baisse de ses commissions. La Cour d’Appel a considéré que la baisse des commandes de la société Dorsey, inhérente à un marché en crise, n’engageait donc pas sa responsabilité.
La Cour de Cassation confirme l’arrêt au seul motif qu’ « en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la situation observée en 2010 était, elle aussi, une conséquence de la crise du secteur d’activité et de l’économie nouvelle de la relation commerciale qui en était résulté la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à d’autres recherches, a légalement justifié sa décision » (Cass, com, 8 novembre 2017, n°16-15285).
Les juges ont donc simplement pris en considération la situation économique des partenaires commerciaux pour rejeter le caractère brutal de la rupture de la relation contractuelle, alors même que cette relation était établie depuis près de dix ans.
Cette décision, inédite, s’inscrit dans un mouvement général de protection des contractants en cas de bouleversement économique du contrat, lequel a été consacré par la création du nouvel article 1195 du Code civil instituant la révision, voire la résolution, d’un contrat pour imprévision.
En effet, aux termes de cet article, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».
Il convient de souligner que ce texte présente un caractère supplétif, sauf à ce que le contrat soit considéré comme étant un contrat d’adhésion, si bien qu’il peut apparaître opportun, selon les circonstances, que les parties excluent contractuellement son application.
La situation économique des parties étant de plus en plus prise en considération pour apprécier les manquements contractuels ou extra contractuels des parties à un contrat, comme l’atteste l’arrêt rendu le 8 novembre dernier par la Cour de Cassation, on ne pourra que conseiller aux contractants, notamment aux franchiseurs, d’indiquer que le contrat a été librement négocié entre les parties, pour exclure la qualification de contrat d’adhésion, et de prévoir que chacune d’elles acceptent le risque d’un bouleversement économique du contrat…