Régulièrement invoquée par des franchisés malheureux, rarement accordée en pratique, la nullité d'un contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité pourrait connaître une vigueur nouvelle avec l'ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des obligations.
Précisons tout de suite que l'erreur se différencie du dol en ce que ce dernier constitue une erreur provoquée : le dol suppose des manœuvres, actives ou passives, de la part du cocontractant, alors que l'erreur ne suppose rien d'autre qu'un constat objectif : le franchisé croyait obtenir tel ou tel avantage en signant, il ne les a pas obtenus.
Il est donc beaucoup plus facile de démontrer une erreur qu'un dol.
Les franchiseurs doivent-ils réellement s'inquiéter ?
Rappels
La célèbre Loi Doubin (articles L 330-3 et R 330-1 du Code de Commerce) impose au franchiseur de remettre au candidat franchisé, au moins 20 jours avant la signature du contrat, un certain nombre d'informations (état du réseau, bilans et comptes de résultat, perspectives d'évolution du marché, etc...).
On le sait, le seul défaut d'information à ce titre n'emporte pas annulation automatique du contrat : le franchisé doit prouver que ce défaut d'information préalable a entraîné pour lui un vice du consentement ; en d'autres termes, s'il avait obtenu l'information manquante, il n'aurait pas signé.
La jurisprudence est constante sur ce point, et n'a pas varié depuis des années.
Deux nouveautés pourraient bien venir bousculer cette douce quiétude : l'élargissement du champ de l'erreur et la consécration d'une obligation légale et autonome d'information précontractuelle dans tous les contrats.
L'obligation d'information précontractuelle, nouveau champ de mines pour le franchiseur
Le nouvel article 1112-1 du Code civil dispose :
Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.
Si l'on doit résumer très brièvement les nouvelles dispositions :
- On ne peut pas s'affranchir de cette obligation, qui vient donc s'empiler avec les dispositions de la loi Doubin ;
- Sans connaissance par le débiteur de l'information (le franchiseur) du caractère déterminant pour le créancier (le franchisé) de l'information, pas de manquement à l'obligation d'information ; mais la Cour de cassation juge depuis longtemps que "celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l'obligation de s'informer pour informer en connaissance de cause" (Cass, 2° civ, 19 octobre 1994, repris mot pour mot par un arrêt du 20 décembre 2012 de la 1° ch. civile) ; dans l'autre sens, le candidat franchisé a l'obligation de se renseigner : il ne pourra pas reprocher au franchiseur de ne pas lui avoir délivré une information qu'il pouvait lui-même obtenir facilement. Il n'est pas inutile de rappeler à ce sujet que la jurisprudence considère que l'obligation d'information pèse même sur le consommateur ; le franchisé étant commerçant, une obligation d'information renforcée pèse sur lui : pas de protection pour le candidat négligent, qui ne prendra aucun autre renseignement que celui qu'on lui donne.
- L'information non délivrée doit être déterminante, c'est-à-dire qu'elle doit rentrer dans le champ précontractuel ; Exemple : si le candidat indique qu'il veut rejoindre la franchise X parce qu'il espère réaliser un chiffre d'affaires de X euros, le franchiseur ne peut pas ignorer qu'il rejoint le réseau pour dégager un certain chiffre d'affaires, et doit lui communiquer les informations dont il dispose à ce titre (statistiques de réseau ou autres) ;
- La qualité, profane ou professionnel, du créancier de l'obligation est indifférente ; elle aura cependant son importance dans l'appréciation du caractère excusable ou non de l'erreur ;
- L'information doit avoir un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat : il s'agit uniquement de l'objet, du prix, et de l'ancienne cause (la contrepartie attendue) ; on renverra à ce sujet aux articles 1162 et suivants du code.
- La lésion est expressément exclue : aucune information n'est due sur la valeur de la prestation.
- Le défaut d'information peut être sanctionné soit par des dommages et intérêts, soit par l'annulation pure et simple du contrat ; cette dernière sanction n'est pas automatique, et tout dépendra du point de savoir si le défaut d'information a entraîné un vice du consentement. Toujours est-il que le vieux débat jurisprudentiel sur le fondement de la responsabilité encourue (contractuelle ou délictuelle) est désormais définitivement clos : s'agissant de la violation d'une obligation légale, le fondement sera toujours délictuel, ce qui permet au créancier de l'obligation d'information d'engager la responsabilité du débiteur sans avoir à remettre en cause le contrat.
- Il est impossible d'exclure conventionnellement ce devoir d'information ;
Que changent ces nouvelles dispositions en pratique pour les franchiseurs ?
Sous l'empire de la loi ancienne, l'obligation d'information n'était pas autonome, et venait en renfort de la preuve d'un vice du consentement ; dorénavant, la seule violation de l'obligation pourra ouvrir droit au profit du franchisé à indemnisation, et lui permettra de démontrer beaucoup plus facilement un vice du consentement, qu'il s'agisse d'une erreur ou d'un dol.
Désormais, l'information à délivrer par le franchiseur est malléable et indéfinie ; elle variera à chaque fois, selon les candidats.
Le seul strict respect de la loi Doubin est désormais largement insuffisant : à terme, il va à notre sens devenir obligatoire de fournir les bilans des pilotes ou des franchisés du réseau ; le candidat franchisé est en effet beaucoup plus intéressé par la rentabilité de l'activité sous franchise que par celle du franchiseur, qui n'exerce pas forcément l'activité. De la même manière, alors que la loi Doubin fait seulement obligation au franchiseur de fournir des informations afférentes aux départs de franchisés dans l'année précédant la remise du DIP, des statistiques sur une durée plus longue devront nécessairement être fournies ; enfin, le taux de turn-over du réseau et de renouvellement de contrats, qui ne constitue pas une information requise par la loi Doubin, nous paraît indispensable. D'autres informations peuvent aussi entrer dans ce nouveau cadre, comme la politique de développement de l'enseigne, son actionnariat, etc...
Les franchiseurs doivent donc se montrer particulièrement vigilants sur la rédaction des questionnaires de candidature des franchisés, et sur les échanges qu'ils peuvent avoir avec les candidats lors de la phase précontractuelle ; les développeurs de réseau, souvent complètement ignorants des règles juridiques, doivent être particulièrement sensibilisés à ces problématiques, qui constituent des bombes à retardement potentielles.
On ne le dira jamais assez : le droit, c'est de l'argent ; le franchiseur qui méprise le droit le paiera très cher, et a donc tout intérêt à faire délivrer par un spécialiste une formation adaptée à son personnel.
L'erreur, nouveau casse-tête pour les enseignes
L'annulation du contrat pour erreur sur ses qualités substantielles constitue la sanction la plus aboutie du défaut d'information. Alors que l'ancien code ne mentionnait l'erreur que pour l'exclure (la nullité pour erreur était exclue sauf si elle tombait sur la substance même de la chose), les nouvelles dispositions inversent les principes : l'erreur est désormais admise si certaines conditions sont réunies.
L'erreur sur les qualités substantielles de la prestation ou de la chose
L'erreur sur la rentabilité avait déjà été admise en jurisprudence, notamment dans deux arrêts qui avaient, en leur temps, secoué le petit monde de la franchise (Cass com, 4 octobre 2011 et 12 juin 2012).
Mais les cas étaient assez marginaux, même si la jurisprudence s'était employée à élargir considérablement le champ d'application de l'ancien article 1110 du Code civil : alors que seule l'erreur sur la substance (ou sur la personne dans certains contrats) était - légalement - admise, la loi nouvelle élargit l'erreur à celle sur les "qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant", entérinant ainsi la jurisprudence antérieure.
Les cas d'ouverture sont donc désormais potentiellement bien plus nombreux, mais surtout la consécration légale de la jurisprudence antérieure ferme la porte à tout débat sur ce point ; si l'erreur sur la rentabilité est le cas qui vient en premier à l'esprit (et qui effraie le plus les franchiseurs...), d'autres cas d'ouverture, aussi sérieux que dangereux pour les enseignes, sont envisageables.
Il faut bien sûr lire les dispositions relatives à l'erreur avec celles précédemment exposées concernant l'information précontractuelle, qui lui font écho.
En substance, que dit le code ?
- L'erreur doit être déterminante du consentement : si j'avais su, je n'aurais pas contracté ; Par exemple, si le franchisé espérait se rémunérer 4 000 € par mois et qu'il ne se rémunère que 1 000 € par mois, il pourra faire valoir une erreur objective, pour autant que cette donnée ait été déterminante de son consentement ; en réalité, l'élargissement du champ de l'erreur a fait revenir la cause, vieux serpent de mer du droit des obligations, par la fenêtre.
- L'erreur doit être excusable : on renvoie ici à l'obligation pour le franchisé de s'informer ; seule la personne qui le mérite est protégée. En matière de dol, l'erreur est toujours excusable.
- L'erreur doit porter sur les qualités essentielles de la prestation ou de la chose ; une chose ou une prestation défectueuse ouvriront la voie, selon leur gravité, soit à une résiliation du contrat, soit à sa résolution, mais certainement pas à son annulation ; en matière de franchise, on peut envisager de nombreux cas, comme l'erreur sur les prestations d'assistance commerciale ou technique du franchiseur, l'erreur quant aux qualités des biens ou services vendus, ou même une erreur sur la capacité de financement du franchiseur et ses ressources humaines ; cette dernière hypothèse, sans doute l'une des plus intéressantes, permettrait à un franchisé de remettre en cause le contrat de franchise, au motif que le franchiseur ne dispose pas de suffisamment de personnel qualifié pour fournir des prestations d'assistance suffisantes, ou encore qu'il n'a pas les ressources financières nécessaires à l'adoption d'une politique de communication efficace (la jurisprudence avait antérieurement annulé un cautionnement pour erreur de la caution sur la solvabilité du débiteur principal, celle-ci ayant érigé cette circonstance en condition de son engagement), voire qu'il ne dispose pas de la capacité de négocier efficacement les accords cadre avec les fournisseurs référencés ; les cas d'ouverture d'une action en nullité pour erreur sont illimités, et dépendent seulement de l’habileté et de l'imagination des plaideurs. En tout cas, les franchiseurs devront se méfier des questionnaires de candidature. Exemple de question fréquemment posée : "pourquoi souhaitez-vous rejoindre le réseau X ?" ; Exemple de réponse à la question (dans 90% des cas) : "parce que je souhaite bénéficier de tarifs concurrentiels concernant les approvisionnements, d'une assistance soutenue, d'une politique marketing efficace et de la force d'une marque reconnue". Autant de cas d'ouverture à une action en annulation, s'il se révèle que l'une ou l'autre des prestations est insuffisante...
- L'erreur sur la valeur est exclue : c'est le refus classique de la lésion ; mais attention : même si l'erreur sur la valeur est exclue, cela ne veut pas dire que le franchiseur ne sera pas comptable d'une défaillance à ce titre, par le biais d'une action classique en responsabilité.
Les sanctions en cas d'annulation sont celles connues en la matière : les parties sont replacées dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant de contracter, ce qui signifie que le franchiseur devra rembourser au franchisé toutes les sommes versées et tous les investissements effectués.
Enfin, et dans la mesure où la nullité pour erreur est relative et non pas absolue, le franchisé pourra toujours couvrir la cause de nullité en ratifiant le contrat, expressément ou tacitement (mais sans équivoque dans ce dernier cas). De même, l'acceptation par le franchisé de l'aléa sur la qualité d'une prestation exclut une action ultérieure sur le fondement de l'erreur.
L'erreur sur la personne
En matière de franchise, voilà un champ d'investigation très intéressant ; le contrat de franchise est, par essence, un contrat conclu intuitu personae.
Autrement dit, les parties concluent le contrat en considération des qualités de chacune d'elles.
Il est à noter que les franchiseurs excluent souvent, en ce qui les concerne, ce caractère intuitu personae de la relation ; mais la DGCCRF considère, à tort selon nous, qu'une telle clause serait constitutive d'un déséquilibre significatif au détriment du franchisé.
Si l'intuitu personae vis-à-vis du franchiseur peut se concevoir dans les petits réseaux, on n'en voit guère l'intérêt dans les grosses enseignes : qu'il nous soit permis de douter que le franchisé Mc Donald's rejoigne l'enseigne en considération de la personne de la tête de réseau... Tout est question d'appréciation concrète.
Le nouvel article 1134 précise que "l'erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n'est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne". A croire que cet article a été rédigé pour la franchise...
Là encore, le champ des causes de nullité se trouve élargi, et entérine en la renforçant la jurisprudence antérieure.
L'erreur sur la solvabilité ou les capacités financières du franchiseur (ou du franchisé) pourra bien sûr être évoquée ; on peut aussi imaginer le cas d'un franchiseur (ou d'un franchisé) ayant fait l'objet d'un dépôt de bilan ou d'une condamnation pénale pour une infraction en lien avec le contrat (abus de biens sociaux ou interdiction de gérer par exemple), même si nous serions en ce dernier cas plus proches d'une réticence dolosive (un mensonge par omission).
Plus intéressante est l'hypothèse du réseau détenu par des fonds d'investissements, qui recherchent une rentabilité à court et moyen terme ; en général, ces investisseurs privilégient le développement, au détriment de l'assistance fournie aux franchisés du réseau. On pourrait donc très bien imaginer qu'un franchisé vienne remettre son contrat en cause pour erreur sur la personne du franchiseur.
Les franchiseurs vont crier au voyeurisme, les franchisés à la transparence.
Une chose est sûre : la nouvelle réglementation va permettre de multiplier les cas d'annulation de contrats et de mise en cause de la responsabilité des franchiseurs, qui doivent se montrer particulièrement vigilants, et veiller à soigner leur processus de recrutement.